vendredi 21 décembre 2012

Sans titre...

Impossible de savoir par où commencer ce post dans lequel je voulais vous donner mes premières impressions sur la situation... Un torrent de questions, d'émotions, d'idées déferlent sans but, sans horizon... Je suis comme un enfant perdu dans un rue commerçante à la veille de Noël.


Tout le monde autour de moi s'agite, j'entends des pas d'adultes, ceux qui ont la vérité, ceux qui ont le droit de dire leur parole "sachante" sur tout - ceux qui ont toujours le droit à la parole, j'entends des bruits de cloches pour annoncer une fête, une trêve, j'entends des marchands qui crient pour vanter leurs produits, j'entends des coups de klaxons de voitures américaines, j'entends tout cela, mais de là où je suis, je ne vois que le pas pressé et oppressant de géants trimbalant des sacs de toutes marques, perdu au milieu de cette rue grouillant d'acheteurs pressés d'en finir. Je ne sais pas où aller... Qu'est-ce que je fais ici? Est-ce que j'existe, est-ce que j'ai même existé jusque là? L'angoisse, succède à la peur, puis le désespoir de trouver le bout de ce tunnel de personnes qui se bousculent les uns contre les autres pour se frayer un chemin dans la jungle de cette rue commerçante. Je suis perdu mes amis... Une profonde tristesse m'habite. Je ne connais pas de fin heureuse pour qui a tenté de vivre dignement sa vie. On n'est pas fait pour mourir! Il en va ainsi d'une entreprise qui rassemblé des centaines de milliers de personnes : Saab ne devait pas mourir.


Quand vous voyez la richesse de l'histoire de Saab, quand vous contemplez l'extraordinaire aventure de cette famille composée d'ingénieurs talentueux, de champions de l'automobile, de designers inspirés, d'automobilistes passionnés, etc. Et d'entendre lundi dernier le son du glas pour cette merveilleuse histoire... Comment réaliser cela? Comment l'accepter??!!




J'ai pensé tout d'abord aux cadres et aux employés de Saab, de Saab France en particulier. J'ai pensé à ce meeting du 11 décembre dernier qui était la dernière salve comme on le pressentait bien au fond de nous - ayant cette pudeur de ne pas nous le dire d'ailleurs. Comment ne pas les remercier du fond du coeur ceux qui ont soutenu cette initiative? Merci à vous.

Les employés de Saab Automobile ont peut-être moins le temps que moi de s’apitoyer car, pour eux, le principe de réalité l'emporte : sans salaire depuis 2 mois et le chômage au bout si on ne cherche pas activement un autre employeur, et ce après trois années de galère, Saab ne va pas immédiatement évoquer quelque chose de vraiment florissant, c'est sûr...

J'ai rencontré des gens avec un talent énorme chez Saab France. Cette marque n'attire pas seulement une clientèle spécifique, l'histoire de Saab et l'originalité de ses produits a toujours attiré des gens talentueux motivé d'abord par leur passion, parfois au péril de leur carrière, brillante jusque là pourtant. Encore une fois, je sais que beaucoup ont pensé à eux dans les commentaires et e-mails que j'ai reçus alors au nom de tous, je voudrais remercier tous ceux qui ont travaillé dur et continueront pour beaucoup - je pense au réseau de distribution - à travailler avec cette même passion au ventre, je voudrais donc tous les remercier en vous remerciant vous Monsieur Van Der Meulen, vous qui avez représenté si dignement jusque maintenant les couleurs du griffon suédois en France. Merci du fond du coeur.

Pour moi cela a été un plaisir que de travailler avec les Relations Presse de Saab. Claude, merci pour votre soutien, pour enthousiasme sans faille. Merci et à la revoyure ...

Je n'oublie pas tous les autres...

Ce qui est arrivé lundi 19 décembre est un choc. Il va falloir du temps pour le digérer. A quelques jours de Noël, je me sens piégé par la nécessité de devoir remettre à plus tard le devoir de mémoire, l'analyse de ce qui s'est passé et les projets. General Motors doit être bien content que cela arrive maintenant car les vacances d'hiver et les fêtes de fin d'années vont étouffer le scandale de la fin de cette marque européenne prestigieuse.

Les financiers diront : "c'était prévisible" et ils vous illustreront leur propos avec un graphique des ventes sur les 20 dernières années. On fait tout dire à un graphique. TOUT est relatif. La question primordiale pour un industriel aux investissements lourds, n'est pas nécessairement le volume, mais la marge au terme d'un certain nombre d'années d'investissements et surtout le montant d'investissement nécessaire pour que l'effet de levier puisse fonctionner. A ces deux clés de lecture de l'histoire récente (10 ans) de Saab - marges d'exploitation et montant d'investissements nécessaires - il est clair que les financiers ne feront qu'une bouchée en évaluant ces deux points clés.

L'Etat suédois avait abandonné la partie depuis les années 90. Depuis cette crise économique et financière qui a marqué le pays par des faillites en cascades et des échecs cuisants de nationalisation dans les chantiers navals, le néo-libéralisme à l'anglaise a pris place. L'Etat suédois a cédé Saab à GM totalement en 2000. Volvo était déjà sous pavillon américain avec Ford (99).  La désindustrialisation des économies moderne est une idéologie parmi d'autres et je vous promets qu'on reviendra sur ces préjugés. "No taxpayer money" vous lisez partout dans les revues politiques néo-libérales. Cette purée simpliste des idées néo-libérales est servie en boucle par le gouvernement suédois depuis plusieurs années. Les finances publiques suédoises sont au beau fixe, tout le monde est content, sauf à Trollhättan.

La semaine dernière, avant de partir en congés, je visitais un client industriel qui se situe dans un secteur très concurrentiel. Il me disait : "j'ai racheté x millions il y a 3 ans; aujourd'hui si je n'investis plus, l'entreprise n'aura plus aucune dette d'ici 4 ans, ma dette de rachat sera éteinte et je pourrais revendre à un bon prix et surtout dégager avant un maximum de cash. Mais  l'entreprise n'aura plus aucun avenir si je n'investis pas maintenant. Il y aura du cash, les murs de l'établissement vaudront chers, mais l'exploitation mourra dans 8 ans, faute de nouvelles machines".


Dans le monde de l'entreprise, deux logiques (complémentaires pourtant) s'opposent : celle de la finance pure : dégager du cash rapidement ; celle de l'investissement. Un véritable entrepreneur est d'abord un investisseur. Quand l'Etat suédois endosse la logique purement financière, fait ses petits calculs - combien me coûte à court terme 12000 emplois par rapport à combien me coûte d'investir dans Saab - et conclue qu'il vaut mieux favoriser les bulles financières et la matière grise, il oublie peut-être que tôt ou tard sa balance commerciale souffrira et que la recherche développement se rapprochera des sites industriels chinois... Qui vivra verra.
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Je reviendrai à mon retour (lundi) sur les conséquences de la liquidation de Saab, une revue de presse, les possibilités de nouveau départ - mais pas de la production à Trollhättan, cela est désormais certain - pour ce qui concerne les technologies développées par Saab et désormais logées dans une entité à part (Saab Developpement), la collaboration de Youngman qui sera là demain à Trollhättan pour rencontrer le liquidateur judiciaire, les créanciers de Saab aussi... Je vous écris ceci depuis un café dans la campagne bretonne. Je suis désolé de ne pas pouvoir être plus présent en ce moment. Fallait-il encourager (comme nous l'avons fait en décembre) une manifestation mondiale? Cela n'aurait rien changé sur la suite, mais cela aurait fait du bien. Peut-être en janvier? On verra si le fatalisme suédois l'emporte...


En dépit de tout, passez de belles fêtes et restez connecté si vous le pouvez. Quant à moi, je réfléchis déjà à acheter ma dernière Saab début 2012...

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