Un certain nombre de signaux contraires tendent à accréditer l'idée que le raz de marée annoncé pour le véhicule 100 % électrique n'aura pas lieu. Ni dans les mois à venir, ni dans les 5 à 10 ans non plus. Si l'on se réfère aux vrais chiffres du marché*, en France comme dans d'autres parties du monde, on est plus dans le clapotis de Brice de Nice. C'est vrai aussi par exemple aux Etats-Unis, où on ne se bouscule pas pour les modèles rechargeables. Il se dit même que la Chine aurait renoncé à ses grandes ambitions, ce qui est encore plus grave.
Dans notre pays, le démarrage est plus que lent et l'offre ne séduit pas aujourd'hui les particuliers, qui sont une infime minorité. Si l'on met de côté les parcs d'auto partage et les collectivités, les clients volontaires sont des entreprises et, fait nouveau, des artisans. Bien sûr, certains relativiseront les données et expliqueront qu'on est au tout démarrage de ce marché. Rappelons quand même que les premiers modèles sur le marché sont en vente depuis l'automne 2010. L'offre s'étoffe (Renault a déjà mis en vente 3 véhicules sur 4 de sa gamme ZE), mais il n'y a pas pour autant d'effet boule de neige. Et ce, pour plusieurs raisons.
Si l'on met de côté l'autonomie qui, à 150 km en moyenne (et même à 100 ou 120 réels), ne nécessite pas de recharger tous les jours, la voiture électrique reste chère. Et même quand la batterie est louée à part (il suffit de faire les calculs pour voir que ce n'est pas si économique). D'autre part, l'absence d'indications de la part des candidats à la présidentielle sur les aides pour la voiture propre laisse aussi planer un doute sur le maintien du bonus. Les pouvoirs publics, et pas seulement en France, donnent le sentiment de moins soutenir le développement de la filière. Paris par exemple ne réserve pas d'avantage pour les couloirs de bus.
L'autre point blocant est l'absence de points de charge, problématique pour ceux qui n'ont pas la chance d'avoir un garage équipé. Et je ne parle même pas du casse-tête que pose la recharge, avec la nécessité d'avoir à domicile un chargeur (payant) pour refaire le plein en toute sécurité, la difficulté de faire accepter en co-propriété un point de charge, et les standards différents de câbles et de prises selon les pays et les marques. On voudrait faire croire que l'électrique, c'est simple, alors qu'en vérité, c'est plutôt compliqué.
Les acteurs qui prônent le changement ont sans doute sous-estimé les changements induits pour les clients (prévoir son itinéraire, avoir l'assurance de pouvoir recharger en arrivant, pouvoir attendre plusieurs heures). D'autre part, les inévitables erreurs de jeunesse ont de quoi susciter des doutes. Les chaînes de production de la Chevrolet Volt et de l'Opel Ampera, pourtant élues voitures de l'année, sont à l'arrêt pour 5 semaines faute de clients. Et en plus, il avait fallu gérer avant les problèmes de batteries, mises en cause dans un incendie. Autre exemple : Fisker en est déjà à son deuxième rappel de batteries pour la Karma, alors que la voiture commence à peine sa carrière.
En comparaison, rouler en voiture hybride est bien plus simple. Il n'y a pas de recharge à gérer dans le cas d'un hybride classique (essence ou diesel) et la technologie tend à se démocratiser (Honda Jazz, Yaris HSD). Il se vend d'ailleurs plus de 2000 hybrides par mois en France (10 fois plus que des électriques). L'arrivée des hybrides plug in, qui offrent une autonomie plus limitée (20 à 50 km selon les cas), permettra de concilier le besoin de rouler en mode zéro émission en ville et de ne pas dépendre d'une prise pour rentrer chez soi. Avec en prime le luxe de pouvoir partir en vacances sans avoir une deuxième voiture. Il est d'ailleurs étonnant de voir que les premiers modèles planifiés (Prius rechargeable et Volvo V60 D6) sont éligibles au bonus de 5000 € avec des rejets de moins de 50 g de CO2 par km.
On a aussi sous-estimé les progrès des moteurs classiques. N'en déplaise à certains, la micro-hybridation Stop & Start et le développement de petits moteurs à trois cylindres, va continuer à faire baisser la consommation. Les progrès observés tant sur l'essence que sur le diesel repoussent finalement l'échéance d'un remplacement rapide du thermique par l'électrique.
Alors, l'électrique est-il mort ? Non. Il y a déjà et il y aura demain encore plus de véhicules électriques. Mais, le marché va sans doute se segmenter par usages. On peut ainsi imaginer des véhicules plus petits et destinés à la ville, en mode partagé, alors que l'hybride (et à plus long terme l'hydrogène) permettra de transporter la famille et de faire des trajets routiers. L'idéal serait de renoncer à la voiture polyvalente qui fait tout et de repenser plutôt la mobilité, au lieu de vouloir d'abord électrifier un véhicule à 4 roues qui prend beaucoup de place en ville.
*Et non aux commandes en cours, pré-commandes ou simples déclarations d'intention. Le marché de l'électrique se caractérise par une incroyable intox, entretenue par les constructeurs.