L’usine turque de Bursa emploie près de 5800 salariés, deux fois plus que Flins. Photo DR
Des Renault électriques en lieu et place de la prochaine Clio. Flins (Yvelines) contre Bursa (Turquie). Une vraie délocalisation qui sème le trouble.
C’est l’émoi en France : la Clio génération 2013 pourrait fuir l’Hexagone et s’offrir à la Turquie. En temps de guerre, on parlerait d’un acte de désertion. La Clio, il est vrai, est emblématique du « made in France ».
Cette fois, on peut comprendre la colère ambiante : celle des politiques, frustrés de tant d’ingratitude, mais surtout celle des 2900 salariés du site des Yvelines, car il s’agirait bel et bien d’une délocalisation : fabriquer ailleurs un modèle qui l’était ici et continuer à le vendre ici. Ce fut déjà le cas pour la Twingo 2, elle aussi native de Flins mais émigrée en Slovénie.
Patrick Pélata, le directeur général de Renault, jure que rien n’est fait, que Renault ne fermera aucun site français ainsi qu’il s’y est engagé en 2008, en recevant 3 milliards d’argent public, et ne supprimera aucun emploi à Flins. En somme, pas question d’un Vilvoorde à la française, ce site belge fermé en 1997 par le constructeur.
N’empêche, on voit mal Flins remplacer sans dommages la Clio 3 par une ZOE électrique promise pour 2011, à grand renfort d’aides étatiques en tous genres, mais dont le succès commercial reste à prouver. On imagine les salariés et les fournisseurs de Flins pas très emballés par la perspective. Renault explique toutefois que Flins, par ailleurs promu fabricant de batteries, continuera à produire la Clio 3 tant que nécessaire, voire la Clio 4 pour épauler Bursa.
Partant, il s’agirait moins d’une délocalisation que d’un rééquilibrage de la production. Alors, beaucoup de bruit pour rien ?
Le cas du textile
À l’analyse, le cas Clio en évoque un autre : celui du textile. Que la France assure 25 % de la production mondiale du groupe, 55 % de la valeur ajoutée et 86 % des dépenses d’ingénierie de Renault, montre qu’elle est positionnée sur les produits les plus avancés tout comme le textile français s’est progressivement replié sur des niches, en abandonnant les gros volumes pour sauver sa peau face à la concurrence asiatique.
C’est très précisément ce que fait Renault lorsque, avec la bénédiction des pouvoirs publics, il place la France (et Flins) au cœur de sa stratégie électrique, mais, dans le même temps, assure ses fins de mois avec la très basique et roumaine Dacia. Évidemment, on pourra toujours regretter cette incapacité chronique de la France à produire pas cher, alors qu’elle encourage l’achat de modèles populaires au nom de la protection de l’environnement… poussant de fait à la délocalisation.
Pour l’heure, une réalité : 75 % des Renault et 53 % des Peugeot et Citroën sont produites à l’étranger. Fabriquée à Flins (125 400 véhicules en 2009), la Clio 3 l’est aussi en Turquie et en Espagne. Trois usines, mais en 1997, la Clio 1 était assemblée sur six sites européens.
PSA n’est pas en reste, mais à degré moindre que son rival national, et sans avoir cédé jusqu’à présent aux sirènes de la délocalisation pure. Désormais fabriquée en Slovénie, la Peugeot 207 l’est toujours à Poissy et la Citroën C1 tchèque ou la C3 Picasso slovaque, même importées en France, n’y ont jamais été produites. C’est aussi le cas de la nouvelle Fluence, exclusivement produite… à Bursa, dans sa version thermique et électrique (2011).
« La compétitivité d’un véhicule est un élément essentiel pour garantir son succès commercial ; elle est donc un élément déterminant dans les décisions d’affectation industrielle », rappelle Bernard Jullien, directeur du Gerpisa, un organisme de recherche sur l’automobile. Renault rappelle pour sa part que « les décisions de choix des sites de production se prennent sur des bases économiques ».
Résultat, la production française ne cesse de chuter (-35 % en 2009) et l’on voit mal comment on pourrait inverser la tendance, malgré les gesticulations d’un ministre de l’Industrie visiblement plus politicien qu’économiste, quand il affirme que « lorsqu’une voiture française est destinée à être vendue en France, elle doit être majoritairement produite en France ». Très en forme, Christian Estrosi voudrait même que Renault fabrique 75 % de ses voitures en France…
Nationalisme de circonstance
Outre qu’il peut surprendre de la part d’un libéral convaincu, et qu’il est très mal vécu hors des frontières, ce nationalisme de circonstance (les élections régionales approchent…) fait tout simplement fi des impératifs du low cost et des obligations de compétitivité qu’il impose aux constructeurs. Fabriquer un modèle populaire dans un pays à moindre coût, de surcroît hors zone euro et dans une usine ultra moderne, doit bien avoir son intérêt pour Renault.
Carlos Ghosn ne manquera pas de rappeler deux choses demain à Nicolas Sarkozy : les principales rivales de la Clio (Corsa, Polo, Fiesta) ont depuis belle lurette fait un pied de nez au 100 % « made in Germany » ; on ne peut demander à un constructeur de s’internationaliser et, en même temps, de rester français…
Un dossier de Jacques Prost