Fondée en 1968, Lynx est une petite entreprise anglaise spécialisé dans la restauration et la refabrication de répliques de Jaguar de course, comme les Type C, D et XKSS. Bien moins connues sont ses créations sur la base du coupé XJS qui se verra transformé en cabriolet et surtout en break de chasse. Produit à 67 exemplaire
seulement, nous avons eu la chance d’essayer un de deux exemplaires en conduite à gauche, réalisé à partir d’une Jaguar XJS-R...Les traditionnelles festivités qui accompagnent l'an neuf sont tout juste dissipées que c'est déjà l'époque des étrennes. Cette année, je n'ai pas été oublié. Aujourd’hui en effet, Le Nouveau Collectionneur m'invite à vous faire découvrir une Jaguar particulièrement insolite.
L'Eventer, c’est son nom, est le fruit des amours tumultueuses entre Lynx, petit artisan et Jaguar. Dotée d'une personnalité hybride, l'auto fut frappée, dès son jeune âge, par les conséquences d'une anomalie génétique rare, que nous pourrions qualifier «d'hypocarrostrophie sévère» tant nous sommes friands de néologismes, modernité oblige...
Mais trêve de digression, rendez-vous est pris et c'est sous un ciel d'une pâleur toute hivernale que je me rend au domicile de l'aimable propriétaire du fauve.
Arrivé à destination, le portail d'une confortable bâtisse s'ouvre devant moi. Je découvre alors la Jaguar alanguie au milieu du parc, puissante, fluide, élégante dans sa livrée vert Bentley. Son numéro favori c'est l'hypnose. Là, elle est imbattable, impossible d'en détourner le regard, rien n'y fait même la proximité immédiate d'une Rolls-Royce Silver Cloud II, majestueuse en robe grise et noire (la même que celle de Jean Gabin dans «Mélodie en sous-sol»).
Un peu d'histoire
La Jaguar-Lynx modèle Eventer est une des trop rares applications de l'exercice de style automobile que l'on nomme communément "break de chasse" et dont la paternité conceptuelle pourrait légitimement échoir à l'ingénieur David Brown (le «DB» des Aston Martin). C’est lui qui le premier, en 1964, confia au carrossier anglais, Arold Radford, le soin de transformer sa DB 5 personnelle, en break.
Satisfait du résultat, David Brown fit transformer une première série de douze DB 5, suivie de six DB 6, qui seront toutes vendues malgré un tarif astronomique. Très performant, confortable, habitable et élégant le «shooting break» était né.
La recette du break de chasse paraît simple. Prenez un élégant coupé auquel vous supprimez l'ouvrant arrière. Vous prolongez ensuite la ligne de pavillon jusqu'à l'extrémité postérieure et vous n'avez plus qu'à installer un hayon vitré à l'inclinaison prononcée. Elémentaire non ?
L'avenir devait consacrer l'idée de Monsieur Brown et, en marge de la série, de nombreuses réalisations inspirées suivirent, telles que la Lamborghini Flying Star II par Touring ou la Ferrari 330 GT par Vignale... Certains constructeurs emboîtèrent le pas, Volvo avec la P1800 ES et plus tard la 480 ES, Lamborghini avec l'Espada, Lotus avec l'Elite…
En tout, on dénombre soixante-sept transformations de type Eventer réalisées par Lynx, dont deux seulement sur base d'XJR-S, les autres étant sur base d'XJS classiques.
A l'origine était une XJS-R
Avant de devenir une Eventer, l'histoire de notre Jaguar débute sous l'appellation plus prosaïque de XJR-S au sein des ateliers de Jaguar Sport. C’est une structure créée à la fin des années 80 par les volontés conjuguées du Tom Walkinshaw Racing (TWR) et de Jaguar dans le but d'élaborer les versions sportives de la marque. Il faut dire qu'à cette époque, la production, en rupture avec le passé sportif de la marque, était plutôt caractérisée par la volonté de satisfaire aux exigences du marché américain : suspensions flottantes, direction sur-assistée, convertisseur de couple à glissement "illimité"…
L'XJR-S, c'est vraiment autre chose. Né avec une cylindrée de 6 litres, notre exemplaire est équipé de l'ultime version du 12-cylindres en V, caractérisée par l'adoption d'un catalyseur redimensionné et d'un système d'admission par injection séquentielle programmée chez Zytek. Ainsi optimisée, la puissance du V12 s'établie à 333 ch Din, pour une valeur de couple de 50,5 mkg à 3.650 tr/mn, ce qui, vous en conviendrez, n'engendre pas la mélancolie... D'autant que par rapport à la classique XJS, la «R» bénéficie d'un autobloquant, d'une direction plus directe dont l'assistance a été réduite et adopte des suspensions sport à l'assiette surbaissée. Les amortisseurs eux, proviennent de chez Bilstein, et les superbes jantes Speedline de 16 pouces, ont été spécialement développées pour permettre l'adoption d'une monte pneumatique appropriée, soit à l'avant du 225/50 ZR 16 et pour les roues motrices du 245/55 ZR 16.
Déjà bien née, «ma» Jaguar-Lynx fit ses premiers tours de roues en terre monégasque où elle fut livrée, le 5 février 1991, à son premier propriétaire contre la respectable somme de 75.000 euros. Ainsi débutait le parcours de notre héroïne d’un jour. Ensoleillé, tiède, paisible, au printemps précoce succédait l'été interminable, et ainsi de suite, tel est le rythme des saisons en principauté.
Eventer, la métamorphose
C'est en 1995 que le premier propriétaire de notre Jaguar se décide : «née coupé tu deviendras break de chasse».
Direction l'Angleterre et plus précisément à Saint-Leonards-on-Sea, dans le Sussex, où, au 68 Castleham Road, se trouvent les établissements Lynx, aux bons soins desquels sera confiée l'auto.
Trois longs mois vont alors s'écouler, pendant lesquels de nombreuses transformations vont s'opérer sur l’auto. Abandonnée par son propriétaire dans une livrée noire vernie, la belle se retrouvera parée d'un vert sombre, nacré du plus bel effet.
Regardons de plus près la transformation opéré pay Lynx. Si l'on songe à la ligne originelle de l'XJS, il est difficile de ne pas considérer une certaine rupture du trait autour de la lunette arrière, trop verticale, en forme de croissant de lune, flanquée de larges montants de pavillon, façon toboggan. La comparaison révèle alors, magistralement, le travail de Lynx. Le dessin est épuré, tendu, les proportions sont idéales, la forme suscite l'émotion. Il ne s'agit pas d'un exercice de style mais plutôt d'une démonstration, de l'Art peut-être diront certains...
Techniquement, la réalisation est irréprochable, la qualité du travail de transformation et les finitions Jaguar usine sont parfaitement homogènes. Il n’y aucune trace de bricolage. L'intérieur, déjà richement doté, n'est pas oublié. Tout ce qui peut encore l'être est recouvert de ronce de noyer puis vernis au tampon : habillage de colonne de direction, clavier de l'ordinateur de bord, basculeurs de sièges, prolongement des garnitures de portes jusqu'au hayon etc... La sellerie en buffle noir, passepoilée bordeaux, est étendue aux panneaux latéraux de coffre, les tapis, gris à galons bordeaux, sont réalisés sur-mesure par Lynx, en laine Wilson.
En tout, on dénombre soixante-sept transformations Lynx-Jaguar de type Eventer, dont deux seulement sur base d'XJR-S, le autres sur base d'XJS classiques.
En route !
Three, two, one, zero… Ignition. Le moteur s'ébranle imperceptiblement dans un bruit de soufflerie lente, caractéristique du 12-cylindres Jaguar.
Je manœuvre, la direction offre plus de résistance qu'habituellement sur une XJS «normale». Le touché du volant (un Momo spécialement fabriqué pour l'XJR-S) est très positif. Marche avant, arrière, un demi-tour et me voila prêt à m'engager. C'est parti…
Dès les premiers tours de roues, l’évidence se manifeste sans tarder : la boite automatique «old-fashion» à trois rapports émascule littéralement le 12-cylindres qui n'est jamais au bon régime. Pourtant, le potentiel est bien perceptible, le moteur est coupleux à souhait, les montées en régime s'accompagnent d'un grondement sourd qui se transforme en symphonie pour cuivres à l'approche des 5000 tours. Et ça pousse, croyez-moi. Largement de quoi défrayer la chronique judiciaire locale et perdre quelques points. Alors soyons prudents !
Le freinage de l'XJR-S a beau avoir été revu chez Jaguar Sport, cela n'a pas empêché son actuel propriétaire, à l'occasion de la dernière révision, d'adopter un kit freinage XXL dont les disques et les étriers suffiraient à freiner un Airbus. C’est très sécurisant à l'usage. J'enchaîne quelques courbes rapides et suis aussitôt surpris par l'absence de roulis et la rigueur de l'auto lorsqu'elle est sur ses appuis. La sècheresse des suspensions, la précision de la direction, les vocalises du moteur sont autant de manifestations inattendues à bord d'une XJS. Après quelques kilomètres au volant, je dois me rendre à m’évidence. C’est du beau travail M. Walkinshaw.
Que dire de plus, sinon que le propriétaire est un de ces, trop rares iconoclastes, passionnés pour lesquels l'originalité est un réel critère de choix, comme en témoigne cette collection qui compte, notamment, une rare Jaguar XJC cabriolet, une Aston Martin Lagonda, une Jaguar XJ 220 et j'en passe…
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