CGSS. Quatre lettres éternellement mariées à la plus bagarreuse des marques françaises d’avant-guerre : Amilcar. Pas beaucoup de place, aucun confort, pas plus de protection contre la pluie, mais en retour le plein de sensations, le vent qui fouette le visage et les virages qui vous écrasent sur la fine carrosserie. A mi- chemin entre la voiture et la moto, ce cyclecar continue à faire tourner les têtes et chavirer les cœurs 80 ans après son heure de gloire. Plein gaz !
Lentement, presque timidement, la CGSS sort le bout de son nez du petit garage où elle dort, à l’abri des regards indiscrets. Et pourtant, dans les années 25/30, elle faisait parler la poudre tant sur les petites routes de campagne que sur les circuits. Pour mieux saisir la recette de ce succès commercial et sportif, il faut faire marche arrière jusqu’au début des années 20. Jusqu’alors les automobiles, des engins lourds, sophistiqués et luxueux sont assommés de taxes. Mais après tout, leurs riches propriétaires peuvent faire face. Une modification de la législation fiscale va cependant sonner l’heure de la révolution. La loi du 30 juillet 1920 décide de défiscaliser les petites voitures. Pour ce faire, l’administration créée une nouvelle espèce automobile : les cyclecars. Ces autos doivent impérativement peser moins de 350 kg (limite qu’il sera difficile de respecter cependant), n’avoir que deux places et être équipées d’un moteur dont la cylindrée est inférieure à 1100 cm3. A ces conditions, la taxe pour ces cyclecars ne sera que de 100 francs. Une aubaine pour tous ceux que l’automobile commençait à tenter mais qui étaient refroidis par cette fiscalité lourde. C’est justement le but que recherchait le gouvernement à l’origine de cette réforme.
L'avènement des cyclecars
L’effet est immédiat, les constructeurs sont très nombreux à s’engouffrer dans cette brêche. Beaucoup ne survivent que le temps de produire une dizaine d’engins, quelques autres, sans doute plus professionnels, vont s’épanouir dans ce secteur très prometteur. C’est le cas des associés Emile Akar et Joseph Lamy dont l’anagramme des noms donne Amilcar. En 1921 les deux hommes produisent tout d’abord la CC, animée d’un moteur de 904 cm3. Cette première est bien accueillie, notamment pour son ambiance sport qui séduit les clients. Une ligne qui n’est pas que de la façade, le faible poids et la puissance du 4-cylindres en font une voiture nerveuse. Cette tendance va d’ailleurs nettement se marquer avec l’arrivée dans la foulée des types CS et C4. On taquine alors le 100 km/h, un argument non négligeable en ce milieu des années 20. L’autre secret de la réussite d’Amilcar, dont les ateliers sont à Saint-Denis, tient dans la conception même de ses cyclecars. Les concurrents s’inspirent directement des motos dont ils adaptent tant bien que mal les solutions techniques sur leurs autos. Chez Amilcar, c’est différent. Les ingénieurs, dont Edmond Moyet, le père de la 5 CV Citroën qui collabore avec Amilcar, ont conçu leurs cyclecars comme de mini voitures. Il en résulte un comportement routier sain. Par ailleurs, les modèles ne cessent d’évoluer, apportant toujours plus de satisfaction de conduite à leurs propriétaires. Y compris à l’étranger puisque les Amilcar ont été construites sous licence en Italie, sous le nom de Italiana, sous celui de Pluto en Allemagne et sous celui de Grofri en Autriche. Sur les circuits des nombreuses courses organisées en France à l’époque, les Amilcar son redoutables. Elles ont un petit moteur, surtout comparé à certaines cavaleries de la concurrence, mais un cœur énorme. Au point d’inquiéter les Bugatti et autres Salmson. Mais les autres marques progressent et il faut absolument redorer l’image de marque d’Amilcar en mettant au point un nouveau modèle. Edmond Moyet dessine alors la CGS, franchissant du coup la barre des 1.000 cm3 (1074 cm3). La marque de Saint-Denis tient dès lors une arme redoutable qui va être encore améliorée en devenant CGSs en 1926.
Sur piste, c’est la monstrueuse C6, à 6-cylindres 1.100 cm3 et deux arbres à cames qui porte haut les couleurs de la maison. Elle capable de dépasser les 200 km/h. C’est malheureusement à cette époque que les difficultés financières s’accentuent, amenant au départ de Emile Akar et Joseph Lamy. Amilcar poursuit sa route en s’engageant progressivement dans la production de voitures de grand tourisme. A la veille de la seconde guerre mondiale, Amilcar a été absorbée par Hotchkiss, mais produit toujours sous son nom la Coumpound à traction avant et caisse en aluminium. Le nouveau moteur prévu pour ce modèle ne sera jamais commercialisé, la guerre finissant d’achever Amilcar. Si la législation française actuelle empêche la construction d’autos aussi dépouillées, l’esprit cyclecar n’en a pas moins survécu (tant mieux !) et les amateurs de ces voitures minimalistes ne boudent pas leur plaisir.
En route !
C’est la Champagne que la CGSS de Guy a choisie pour terrain de jeu. Une région vallonnée, avec des routes qui serpent entre les parcelles de vigne. Un cocktail idéal pour celui qui aime s’amuser avec les montées en puissances, les freinages en appui et les courbes exigeantes. Une pression sur le minuscule bouton de démarreur et le quatre cylindres se fâche. Il claque immédiatement puis lâche un son raque, tenant la note sans tousser. Guy enclenche la première. Sa co-équipière, une amie qui connaît bien cette voiture sait que ses mains doivent trouver un appui rapidement car la CGSS accélère sans concession. Les premiers mètres sont avalés en un clin d’œil, juste le temps de passer la seconde, puis la troisième. En une petite minute, les murs sont devenus des vignes et la petite Amilcar est déjà l’assaut de la campagne. A l’occasion d’une halte près d’une cabane de vignerons (qui ont malheureusement tendance à être rasées sans aucun respect pour les souvenirs qu’elles incarnent), Guy détaille sa voiture. Il la connaît par cœur pour l’avoir totalement restaurée, à raison d’un an et de demi de travaux quotidiens. La base de la CGSS est bien entendu sa grande sœur, la CGS. Le châssis est de type échelle, sur la CGS il est posé, via des suspensions à lames de ressort sur les trains roulants. Sur la CGSs, les ingénieurs ont opté pour une solution nettement plus sportive. Le châssis est suspendu par des ressorts entiers à l’avant et des semi cantilevers à l’arrière. D’où le deuxième S, signifiant surbaissé. La tenue de route et le centre de gravité s’en trouvent nettement améliorés, offrant des performances accrues, surtout dans les courbes.
Il est même possible de régler la tenue de toute en jouant sur les amortisseurs à friction équipant aussi bien les roues avant qu’arrière. «Sur piste, je peux les sélectionner très fermes, et franchement ça joue», confirme Guy. Le moteur est toujours l’increvable 4-cylindres de 1.074 cm3, capable de tourner à 3.800 tr/min et délivrant alors 33 chevaux. L’alimentation est dévolue à un carburateur Solex 26 MHG. Les soupapes d’admission et d’échappement sont commandées par un arbre latéral. L’allumage se faisait initialement par une magnéto mais Guy lui a préféré un renvoi d’angle. «Pour rouler, il faut faire quelques aménagements, ce n’est plus la circulation des années 20 et il faut éviter la casse», explique t-il. Ainsi le thermosyphon assurant le mouvement de l’eau dans le circuit de refroidissement reçoit l’aide d’un ventilateur électrique, placé derrière le radiateur. Guy précise encore que son CGSS a un carter d’huile course, nécessitant 7 litres d’huile. Le lubrifiant circule dans le moteur grâce à une pompe à palettes. Avec à peine 550 kg sur la balance (démarreur et roue de secours compris, des éléments que les constructeurs enlevaient pour présenter leurs voitures aux Mines et ainsi s’approcher le plus possible des 350 kilos fatidiques), le rapport poids-puissance est diabolique. Les premiers CGSS étaient dépourvus de différentiel sur le pont arrière, un équipement qui va être de série sur les derniers modèles.
Faite pour la course
Le CGSS de Guy date de 1926, mais il a reçu cette amélioration au cours de son existence. Sans doute de la part d’un propriétaire qui en avait assez de ramasser les rayons cassés en sortie de courbe serrée. La transmission aux roues arrière motrices se fait par le biais de la boîte à quatre vitesses (il n’y en avait que trois sur les premiers exemplaires). Le freinage est particulièrement poussé pour l’époque puisque cette Amilcar a droit à quatre tambours actionnés par câbles à l’avant et par tringles à l’arrière. Le frein à main n’agit que sur les roues arrière. « Elle freine de façon très satisfaisante, le tout est que les câbles et la tringlerie soient bien réglés », estime Guy qui n’a jamais peur d’attaquer fortement avec son octogénaire. Au point d’avoir explosé, un jour, tous les rayons d’une roue arrière sur un circuit ! Voilà pour les coulisses de ce cyclecar. Avec un tel armement, la carrosserie se devait d’être à la hauteur. Les clients d’Amilcar étaient servis de ce côté-là aussi. La CGSS ne cherche pas à cacher son jeu, elle est là pour la gagne. La carrosserie est étroite et finie en fuseau sur l’arrière. Sur la CGS, les deux places étaient décalées afin de donner plus d’aisance au conducteur. Ce décalage est encore accentué sur la CGSS pour que le pilote puisse s’expliquer à son aise avec le volant à quatre branches en fer. Pour gagner en rigidité, la caisse est asymétrique. Seul le profil droit, côté chauffeur, est échancré pour faciliter l’accès à bord… Enfin tout est relatif puisque la roue de secours est fixée sur ce même flanc droit. L’habitacle est dépouillé à l’extrême : plancher peint, carrosserie sans habillage interne. Le passager a un repose-pied, plus pour éviter qu’il ne vienne perturber les chaussures du conducteur que pour un réel confort. Le pilote doit tricoter avec les trois pédales d’autant plus serrées que l’accélérateur est au centre. Mais là encore Guy se veut rassurant, l’expérience gomme toutes ces complications pour ne laisser que le plaisir de lancer son cyclecar dans les courbes et de lâcher les chevaux dès que la ligne droite s’annonce.
L’équipement de bord est réduit au strict nécessaire : compte tour, compteur de vitesse, montre… Le tout sur fond d’aluminium bouchonné. De toute façon, le spectacle est devant, de l’autre côté du pare-brise, saute vent en verre arrondi. Le capot en aluminium se détache du bleu de la carrosserie pour s’appuyer sur la calandre étroite et haute. Le radiateur est rejeté en arrière de cet habillage pour créer une dépression qui aspire l’air. A son sommet, le bouchon accueille un thermomètre, véritable témoin d’alerte au cas où la salle des machines surchaufferait. Avec ce museau effilé et l’absence d’ailes ou même de carénage des roues, l’Amilcar adopte dés lors des allures de voiture de course, et on se fait facilement prendre à son jeu. D’autant que l’échappement rageur laisse imaginer deux ou quatre cylindres de plus. Et avec un pilote comme Guy, la magie est totale. On oublie tout de suite les sièges symboliques, dont l’assise est posée directement sur le plancher. On efface le manque total de poignée pour s’agripper quand le virage est pris à la corde. On se moque éperdument de l’extrême étroitesse de l’habitacle. Tout ce confort dont nous sommes si friands aujourd’hui est jeté aux orties. Seul compte le bonheur gigantesque d’avaler la route dans cette ambiance unique. L’esprit cyclecar a encore de beaux jours devant lui.
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