dimanche 1 janvier 2012

Renault 5 Turbo 1 - 1980 (1)



Parmi les voitures traînant derrière elles une réputation sentant l’huile et les pneus chauds, la Renault 5 Turbo tient assurément une place au premier rang. C’est fou ce que cette voiture déclenche de passion rattachée non pas à l’automobile comme qui dirait ordinaire, de série, mais à l’automobile de pure compétition. Et plus précisément de rallye. Il faut dire qu’elle est née avant toute chose pour cette discipline. Sans l’engagement de son constructeur dans le Championnat du Mondes des Rallyes elle n’existerait tout simplement pas...L’idée d’une Renault 5 - modèle qui est alors le best-seller de la régie - devenue un petit monstre remonte au début de 1976. Eh oui, ce n’est pas hier et à y regarder aujourd’hui le résultat cela ne se voit pas vraiment. Ce sont deux hommes, collègues et amis, qui sont à la base de tout : Jean Terramorsi et Henri Lherm. Tous ceux qui en 2007 peuvent se réjouir de posséder une R5 Turbo ont un grand merci à leur dire.

Passion, compétences et amitiés
Jean Terramorsi était un grand monsieur un peu touche à tout. Un touche à tout de génie. C’est lui qui le premier eut l’idée d’une voiture spécifiquement conçue pour le rallye ayant la bouille sympathique et très appréciée de la R5. De son idée, assez vague au début, il concocta une sorte de pré-cahier des charges rassemblant les points paraissant les plus importants. Autour de cela, Jean Terramorsi mobilisa une poignée d’hommes connus chez Renault pour leurs talents et la passion qu’ils mettaient dans l’exercice de leur profession. Pour cela, Terra, comme on l’appelait, mit à profit sa réputation et sa position à la régie. Il était alors au poste de responsable de l’évolution des produits de la gamme basse après avoir occupé le poste de sous-directeur à la Direction du Produit chargé des petites séries. Entre autres, car notre homme recelait plus d’un talent et une capacité de travail immense, lui ayant précédemment permis d’être multi-casquettes dans l’organigramme complexe de la régie Renault. À la Direction du Produit il avait eu comme adjoint Henri Lherm, dont nous verrons d’ici quelques lignes le rôle très important tenu par la suite dans le projet. Terra et Lherm s’étaient soudés d’une franche amitié. Le second nommé admirant le premier, non seulement pour la qualité de son travail et son foisonnement d’idées, mais aussi pour son humanité, sa gentillesse et son humilité.
Après quelques premiers tâtonnements tout à fait normaux, la petite équipe menée par Henri Lherm définit un premier cahier des charges tenant compte au mieux avec les éléments dont elle dispose des impératifs techniques, financiers et (un peu) commerciaux. Car il faudra bien la vendre cette sacrée voiture ! Ceci eut lieu à la fin de l’année 1976.
Avant cela, Jean Terramorsi, malade du cœur, avait succombé à un infarctus. C’était le 27 Août à son domicile parisien. Triste fin d’été caniculaire. Renault venait de perdre l’un des plus grands visionnaires de son temps dans sa spécialité : l’automobile, avec un grand A. Tout dans celle-ci intéressait, fascinait, Terra. Pour elle, pour Renault, pour Publicis, son précédent employeur, il avait touché à la publicité, à la technique et à la compétition. Quoi de plus normal alors qu’il ait imaginé cette R5 pas comme les autres qu’on n’appelait pas encore « Turbo », mais « projet 822 ». Car ne sera-t-elle pas un produit publicitaire extraordinaire pour son constructeur, doublée d’un concentré de techniques peu ordinaire et triplée d’une voiture de compétition les mieux pensée de son temps ? Le concept parfait dans le cadre des fonctions qui lui seront attribuées au sein des activités et de la gamme Renault. Tout simplement.

Définir « 822 »
À la mort de son supérieur, Henri Lherm reprit le flambeau avec une détermination sans faille. Et il en fallait de la détermination pour imposer un produit si décalé. Le projet « 822 » n’était encore que des idées jetées sur le papier et pour qu’il en sorte quelque chose de concret il fallait passer une à une les barrières administratives de la RNUR, qui étaient aussi nombreuses que bien gardées. Une société, fut-elle gigantesque, tentaculaire même, aussi cloisonnée que pouvait l’être la régie Renault, ça devait être rare. Très rare. Peu de place au coup de cœur dans le monde du losange des années 70. Le pragmatisme, la rigueur et l’échelonnement des responsabilités avec contrôles multiples avant validation qui y avaient alors cours ne laissaient que très peu de chance à ceux-ci de sortir de l’ombre des bureaux pour aller fréquenter la rue. Pourtant, le « projet 822 » fut mené à terme. Mais n’était-il pas justement, malgré son côté léger face aux grands enjeux industriels et commerciaux du moment (Fuégo, R9 et moteur Diesel), en vérité que pragmatisme et rigueur dans son genre ? Henri Lherm s’était promis au nom de Terra de toutes les franchir, ces barrières. L’idée de Terra verra le jour s’était-il dit. Elle avait ses chances, Lherm en avait la conviction, et il n’était pas homme à se jeter dans une bataille qu’il savait perdue d’avance.
Depuis le titre de champion du monde des rallyes en 1973 avec la A 110, Renault se tient en retrait de la discipline, mais on parle de plus en plus dans les services concernés d’un possible retour ? Reste à décider, à trouver, avec quelle voiture. La A 310 ? Renault n’y tient pas, et de toute façon elle n’est pas bâtie pour affronter les épreuves du calendrier du Championnat du Monde. À la fin 1976, début 1977, rien n’est décidé encore. Henri Lherm met un pied dans la porte et à partir de ce moment n’aura de cesse de faire admettre que l’idée semblant un peu folle était la bonne. Au moins avec elle Renault ferait un retour des plus remarqué dans l’arène des rallyes au plus haut niveau. Pensez donc, une modeste R5 transformée en redoutable compétitrice. Voilà qui ne serait pas banal et vaudrait, c’est important, toutes les campagnes de publicité possibles et imaginables.
Sans avoir pour l’instant encore perçu le moindre bruit de couloir ne serait-ce qu’un tout petit peu encourageant quant à un démarrage possible du « projet 822 », Henri Lherm affûte ses arguments pour quand viendra le moment de le défendre face aux très hautes instances de la régie.
Le cahier des charges indiquait que le produit fini devait être : « un véhicule puissant, maniable, doté d’une très bonne tenue de route, capable de s’illustrer en compétition moyennant un nombre limité de modifications ». Vaste programme que celui contenu dans ces quelques mots. Si cela peut paraître un peu succinct au premier abord, pas d’inquiétude pour autant. Les gens regroupés autour de Lherm et du « projet 822 » ont tous un cerveau bouillonnant et sauront trouver ce qui convient à sa réussite. La suite le prouvera.
Pour que la future voiture soit à la hauteur des espérances de son défunt père spirituel, le cahier des charges mentionnait aussi une poignée de précisions dont le respect semblait impératif : boîte à 5 vitesses, moteur n’excédant pas 2 litres de cylindrée développant en série une puissance de l’ordre de 150 à 160 chevaux facilement augmentable à un niveau requis par la concurrence du moment en rallye. De plus, la motricité devra être maximum, ce qui imposera de facto les roues arrières motrices et le moteur en position centrale arrière. Voire…les 4 roues motrices. En plus d’être bénéfique dans le transfert de la puissance au sol, le moteur central apportera de l’équilibre et de la maniabilité. Est-on sûrs de toujours parler d’une R5 ? Oui, et c’est là tout le génie incommensurable de l’opération initiée par Terra et poursuivie par Lherm.
Disons-le tout de suite, les quatre roues motrices passeront très rapidement à la trappe après évaluation du surcoût beaucoup trop important qu’elles représentaient dans l’optique de la vente minimum de 400 exemplaires en un an imposée par le règlement sportif pour l’homologation en Groupe 4. Et quand bien même les chiffres de ventes passeraient nettement cet objectif réglementaire, elles ne seraient pas admissibles pour autant tant elles coûteraient trop cher en études. Surtout qu’il ne faut pas perdre de vue que plus l’auto de série sera vendue chère, moins elle trouvera preneur. Un juste équilibre est à trouver sinon le serpent va se mordre la queue. Et il est hors de question d’annoncer à la direction que le « projet 822 » risque d’être déficitaire pour sa partie commerciale. Cela ne passerait pas. L’idéal c’est que les « 822 » de série financent en grande part les « 822 » de course. Engagé dans une course à la victoire au Mans et approchant la F1, Renault n’est pas dans de bonnes dispositions pour un programme rallye qui ne génèrerait pas une grosse part de son financement.
Terminons-en avec le cahier des charges. Celui-ci stipulait aussi que pour pouvoir descendre facilement au minimum de poids autorisé en course dans la classe de cylindrée 2 litres, le véhicule de série ne devait pas excéder 950 kg. Ce qui en sus, lui conférera (au véhicule de série) un rapport poids/puissance appréciable. Il était également tout à fait souhaitable que ledit véhicule de série atteigne la barrière des 200 km/h et que son confort, tant de roulement qu’acoustique, ne soit pas trop sacrifié aux performances et au comportement sportif.
Avec l’abandon de la totalité des prestations d’ordre pratique sur la 5 « projet 822 » comparativement aux autres 5, tels les places arrières et le coffre (pour ne parler que du principal), il sera également important de compenser par une présentation ultra-séduisante. Voire aguicheuse. Cela dans le but de provoquer une envie plus forte que la répulsion que fait généralement naître chez la plupart des gens une voiture sans vrai coffre et à deux places.
La Renault 5 à moteur arrière sera bel et bien toujours une R5, sans plus l’être tout à fait. On le pressent, un tel produit risque de ne peut-être pas être très facile à écouler. Aussi, il ne faut rien négliger. Superbement dessinée, redessinée pourrait-on même dire, luxueusement équipée, puissamment motorisée, efficacement conçue, la Renault 5 « projet 822 » de série quittera le domaine des R5 ordinaires pour pénétrer celui des pures sportives de luxe. C’est à dire des voitures ne servant in fine pas à grand chose d’autre qu’à se faire plaisir. En s’appelant Renault et en se prénommant 5, voilà un vœu qui pouvait ne pas paraître réaliste. Et pourtant…
Après le cahier des charges viendra le choix du moteur. Plusieurs solutions ont été envisagées, mais il faut savoir que celle qui fut retenue se démarqua des autres rapidement. Au point qu’il n’y eut pas de véritable choix à opérer finalement.
On pensa au 1.6 litre des Alpine A 110, A 310 et autres R12 G et R17 TS et G. Dans plusieurs cylindrées précises (1565, 1596, 1605, 1647 cm3) ce moteur existait ou avait existé dans de plus ou moins puissantes versions et il était assez facile de le gonfler encore tant en cylindrée qu’en puissance. Les 1800 cm3 étaient possibles sans problème et les 200 chevaux aussi. Au-dessus ça ce corsait. Après examen rapide de son cas, il apparut clairement que ce n’était pas le moteur qui convenait au « projet 822 ». Nous comprendrons pourquoi tout à l’heure.
Le second moteur candidat sera le nouveau 2 litres produit pas la Française de Mécanique pour le compte de Peugeot et Renault. Moderne, bien dessiné, ses avantages étaient nombreux sur le papier mais des inconvénients incontournables le mirent aussi très vite hors course. De plus, il partageait le même point d’achoppement que la 1.6 litre « Cléon alu » précédent pour prétendre être l’idéal au « projet 822 ».
Le troisième moteur en lice sera le V6 PRV. Peu de bon avec lui, sauf peut-être pour la voiture de série. Et encore. Par contre beaucoup de mauvais, notamment pour ce qui est des problèmes d’assistance en course. Personne ne chercha à défendre la cause de ce moteur. Il ne pouvait indubitablement pas convenir au « projet 822 ». Ne serait-ce déjà qu’à cause de sa cylindrée trop importante. Ou alors il fallait la réduire, possible mais là encore l’argent intervenait.
Le quatrième et dernier moteur envisagé fut celui de la R5 Alpine. Le moment arrive ici de donner une explication importante.
Ce petit moteur d’un litre quatre cent semble bien faible pour assurer non seulement ce qu’on lui demandera pour la « 822 » de série, mais plus encore en compétition, où un niveau de puissance au minimum égal à 240 chevaux était indispensable.
En fait, nous l’avons déjà évoqué, en 1977 Renault s’apprêtait à mener une offensive d’envergure aux 24 Heures du Mans avec ses A 442 à moteur V6 à 90 Renault-Gordini (rien à voir avec le PRV, malgré qu’on eusse aimé nous le faire croire) muni d’un (gros) turbocompresseur. Et en plus, le losange préparait pour un avenir proche une entrée souhaitée fracassante en F1 avec le même type de moteur. Ce programme ambitieux, un peu osé (beaucoup ?), voire risqué, permettra si tout se déroule correctement, de lier fortement la technique de la suralimentation par turbocompresseur, alors avant-gardiste, malgré des précédents, au nom de Renault. Et ainsi créer une puissante image de marque très à part de celle des autres constructeurs généralistes, basée sur la haute compétition et une technologie évocatrice de puissance. Pour que le programme soit complet et d’une efficacité commerciale totale (car n’oubliez pas qu’il ne s’agit que de cela : de commerce et d’argent ; une société comme Renault ne vit pas de bons sentiments), il faut aussi développer dans la gamme tourisme quelques variantes turbocompressées de moteurs existants.
Et nous voilà revenus au 1397 cm3 de la R5 Alpine, qui par conséquent malgré l’ampleur de la hausse de puissance à lui faire accepter, n’était pas une ineptie dans le cadre du « projet 822 ». Au contraire ! Même sa cylindrée bâtarde, excluant la R5 Alpine de la classe 1300 en compétition, devenait là un atout. En effet, avec un turbocompresseur, un moteur donné, qu’elle qu’en soit sa cylindrée, se voyait appliquer un coefficient multiplicateur de 1,4 sur sa cylindrée. Le pouvoir sportif en avait décidé ainsi pour tenter d’établir un équilibre entre les atmo et les turbos. Ainsi donc, les 1397 cm3 si gênants pour la R5 Alpine qui se voyait contrainte à courir en classe 8 (jusqu’à 1600 cm3) malgré un handicap de 200 cm3, devenaient un avantage. 1397 x 1,4 faisait que fictivement avec un turbocompresseur le moteur était un 2 litres au regard du règlement sportif (1955 cm3). Ce qui permettait de pouvoir compter sur un poids minimum réglementaire extrêmement avantageux considéré comme atteignable avec une auto si compacte. Et avec le turbo, même greffé sur un moteur à la cylindrée géométrique aussi faible, c’est l’assurance de très forte puissance qui est donnée à l’équipe. Jusqu’ici, tout était parfait.
Reste quand même à faire accepter au moteur type 840-25 les énormes charges thermiques et mécaniques qui ne manqueront pas d’être engendrées, à des niveaux plus ou moins hauts selon la puissance, par le turbo. Et puis aussi à lui adapter une boîte 5 capable de passer un couple conséquent. Car la boîte type 385 de la 5 Alpine n’est absolument pas apte à un quelconque exploit en ce domaine. Ses carters trop petits interdisent tout renforcement conséquent. Avec elle ce serait macédoine pignons-synchros garantie.

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