jeudi 26 janvier 2012

Ferrari 550 Maranello - 1997




Si Dieu devait rouler en Ferrari, il craquerait peut-être pour la Maranello. Ultra sportive, elle ne triche pas. Discrète, elle ne frime pas. Ferrari jusqu’au bout des roues, elle ne ment pas. Elle cumule les atouts et ne confesse qu’un tout petit péché : elle est belle à se damner
La route se libère enfin et il est grand temps d’escamoter l’utilitaire qui se traîne devant nous. Philippe se déporte sur la gauche. Ultime vérification que la voie est libre et il assomme la pédale de droite. La réponse est immédiate et sans concession. Dans un grondement sourd, le V 12 se défoule. Les deux cadrans du compte tours et du compteur de vitesse s’affolent et leurs aiguilles grimpent à la verticale. Nous étions pourtant en troisième, à 2.500 tr/min, mais le couple de la 550 Maranello est tel qu’il peut se permettre d’attaquer très fort, même à bas régime. Le temps d’avaler un peu de salive pour libérer mes tympans et le fourgon n’est plus qu’un point obscur dans le rétroviseur alors que le long museau de notre Ferrari taille la route de plus bel. Une douce sensation de bonheur m’envahit, baignée d’un rien de honte. En 1996, lors de sa présentation j’avais snobé cette auto. « Ils nous font le coup d’une Daytona réchauffée ». Grossière erreur que je confesse aujourd’hui. La 550 ne doit pas se résumer à une « Ferrari à moteur avant ». En pleine folie du 12 à plat initié avec la Berlinetta Boxer puis magnifié par la Testarossa et ses déclinaisons, Ferrari préparait déjà l’avenir en ce début d’années 90. La marque au petit cheval cabré voulait retrouver la pureté de ligne des modèles originels. Spectaculaire, avec ses ouies latérales monstrueuses, la Testarossa , vaisseau amiral de Ferrari, ne faisait pas vraiment dans la sobriété. Lorenzo Ramaciotti, président du département Etudes et Recherches de Pininfarina confiait à un confrère en 1996 que le but était de « retrouver le dépouillement des GT originelles, la pureté d’une 275 GTB plutôt que le style maniéré de la 365 GTB/4 ; la nouvelle Ferrari devait être aussi agressive que la F 512 M , mais beaucoup moins tapageuse ». De la part d’une maison qui a signé les robes les plus affolantes des années 80/90 (Testarossa, F40 et 288 GTO), c’était plutôt gonflé, mais les maîtres italiens ont l’art de se lancer des défis fous. C’était aussi une façon de préparer le terrain. Le cahier des charges prévoyait un coupé à moteur avant. Il est évident que la position centrale arrière facilite un dessin agressif alors qu’une implantation avant impose des lignes plus allongées. Le projet F 133 a démarré au printemps 1993. Deux stylistes ont été retenus pour plancher sur les lignes de la nouvelle Ferrari : Elvio d’Aprile et Maurizio Corbi. Un petit tour du côté des esquisses proposées alors est édifiant. Ces premiers jets sont proches d’une future Jaguar XK 8 ou d’une sportive américaine. Correct mais une Ferrari nécessitait beaucoup plus de subtilité. La tentation d’évoquer la Daytona était énorme, mais cela aurait été une impasse. Les stylistes se devaient de réinventer un coupé à moteur avant. L’un des dessins d’Elvio d’Aprile a finalement été retenu. Le designer a trouvé l’idée de génie : le coupé 550 a la volupté d’un 2+2, mais ce strict deux places bénéficie d’un dessin très étiré et bas. Début 1994, les grandes lignes du projet F 133, futur 550 Maranello, sont définies. Les maquettes vont encore être travaillées au niveau de l’aérodynamique. Des milliers d’heures vont permettre aux ingénieurs d’obtenir une aérodynamique performante (Cx : 0, 33) sans greffer d’aileron et sans percer d’énormes prises d’air. La page des années 80/90 est bien tournée. En septembre 1996, la 550 Maranello peut enfin être dévoilée. Le résultat est impressionnant. Cette Ferrari de la nouvelle ère est d’une classe intimidante.

Sensuelle
et agressive
Longue, elle dépasse les 4, 50 mètres , et basse, elle s’étire sur les 2, 50 mètres de son empattement. De profil, le dessin est sublime. L’avant est bien entendu mis en valeur. Le capot est fin et plonge depuis les montants de pare-brise sur les optiques carénés (là encore, c’est fini la mode des phares basculants). La face de la 550 est splendide. Mélange génial de sensualité et d’agressivité. Les optiques en losange viennent en échos à la prise d’air centrale du capot. Une découpe sans faux semblant, juste en arrière du petit écusson rectangulaire. Le travail de l’aérodynamique du bouclier avant a manifestement été très important. La prise d’air du radiateur est un sourire béat, avec juste deux petits anti brouillards, cachés à chaque commissure. Deux autres capteurs d’air frais sont disposés au ras de la lèvre noire renforçant l’appui sur l’avant. Ils aident au refroidissement des freins avant. Le bouclier avant est massif mais calé en avant des roues et posé au ras du sol, il donne à la Maranello la dose indispensable d’agressivité. Deux ouies d’évacuation des calories sont percées dans les ailes avant, juste derrière les roues. L’ensemble capot ailes avant occupe, avec cette architecture audacieuse, presque la moitié de la longueur de l’auto. La ceinture de caisse est dans l’alignement des ailes et s’offre un déhanchement subjectif une trentaine de centimètres en avant des roues arrière. Le cockpit est très lumineux. Les minces montants du pare-brise et de la lunette arrière donnent un dessin extrêmement léger. La vitre de portière et généreuse. Le montant la séparant de la custode est de couleur noir. Cet artifice participe au profil effilé de la 550. L’arrière de la Maranello est un véritable florilège du style Pininfarina. Les ailes s’élargissent et une discrète prise d’air est incluse dans leur sommet, abreuvant en air frais les freins. Le bouclier arrière est massif et enveloppant, juste percé aux extrémités pour laisser passer les deux doubles sorties d’échappement. La poupe est rehaussée au niveau du coffre à bagages, formant ainsi une sorte de béquet. Les quatre optiques sont ronds, retour à la tradition maison, et encadrent le petit cheval cabré, argenté. Esthétiquement, la 550 Maranello est un sans faute.
Capot levé, elle continue à soigner son esthétique. Le V 12 occupe tout l’espace possible. Extrêmement homogène, il est difficile d’en distinguer les éléments au premier coup d’?il. Le bloc et les culasses sont en alliage d’aluminium. La distribution se fait par deux double arbre à cames en tête animés par des engrenages et des courroies crantées. Le bloc d’une cylindrée de 5.474 cm3 est alimenté en carburant par injection multipoints. L’allumage est statique, c’est à dire qu’il y a une bougie par cylindre. La lubrification se fait par radiateur d’huile et carter sec, avec deux pompes de vidange et une pompe de pression. Le refroidissement est assuré par un radiateur d’eau et des moto-ventilateurs automatiques. Si le moteur est en position avant longitudinale, l’ensemble boîte pont (le différentiel est un ZF autobloquant à lamelles) est, en revanche, à l’arrière ; c’est un tube en acier qui transmet le mouvement du moteur à cet ensemble. L’embrayage monodisque à sec est à commande hydraulique.
Philippe me tend les clefs pour aller taquiner le goudron. Automobile de contraste, la Maranello surprend d’emblée par la légèreté de ses portières, pourtant assez épaisses. S’installer à son bord ne relève pas de l’exploit sportif ; pas de contorsion ou de tactique d’approche savamment étudiée comme sur une Bugatti EB 110 par exemple. Les sièges sont plus bas que sur une citadine, mais sans excès. Habillés de cuir, ils sont confortables et offrent un bon maintien général, sans que je sois pour autant encastré dedans. Je me souviens d’une 348 où le manque de maintien latéral m’avait franchement déçu. Ici, pas de cela, les sièges sont suffisamment bien conçus pour faire leur travail tout en sachant se faire oublier. La planche de bord, tendue de cuir, est traitée en courbes. Le conducteur et son passager sont séparés par le tunnel central. C’est l’endroit magique par excellence : celui du levier de vitesses.

Une boule d’alu
pour sept rapports
La grille d’alu en H a pris du galon, avec désormais sept encoches à gérer. La 550 dispose d’une marche arrière mais de six rapports en marche avant. Passons sur la console de réglage du chauffage qui n’a rien à envier à celle d’un Kangoo, ce n’est de toute façon pas à ce niveau que se nichent les sensations d’une Ferrari. Le conducteur de la Maranello que je deviens s’intéresse beaucoup plus aux cadrans. Les trois petits, juste au dessus de la console centrale, sont ceux de la température d’huile, de la jauge à essence et de l’horloge. Cette montre est minuscule, comme quoi le temps n’a pas plus vraiment d’importance en Ferrari. La console placée dans l’axe du volant réunit les quatre cadrans les plus importants : température d’eau, pression d’huile, pour les plus petits, compteur de vitesse et compte tour pour les plus grands. Le volant est à trois branches, habillé de cuir, avec le petit cheval sur fond jaune dans le moyeu. Les deux commodos situés de part et d’autre actionnent les commandes de base : clignotants, code/phare… Au sol, les trois pédales rappellent s’il en était besoin que je suis à bord d’une voiture de sport : elles sont ajourées de petits trous, en théorie pour alléger, mais ici, c’est plus pour l’ambiance car le simple poids du cuir embarqué compense largement celui de la matière prélevée sur ces pédales. Le tunnel central mangeant toute la place à droite, le frein à main se situe à gauche. Il s’articule assez loin en arrière, au sol. D’où la longueur inhabituelle de ce manche. Mais pour l’instant, c’est ma main droite qui a le pouvoir. Clef en main, je m’apprête à libérer les chevaux. Un quart de tour.

Le tonnerre gronde !
Un petit bruit timide signale que le démarreur est à l’ouvrage. Il est immédiatement couvert par les douze cylindres qui prennent vie. Un son sourd, costaud, qui, bien qu’au ralenti, annonce que l’éruption couve. Je saisis la boule d’alu du levier de vitesse. L’embrayage demande du mollet. Ce n’est pas mission impossible mais la mécanique a besoin que je lui rappelle qui est le patron. Même volonté pour la boite. La grille mythique ne se titille pas du bout des doigts, il faut du caractère et de la détermination. En revanche, le V12 est d’une docilité incroyable. Je quitte la cour en pavés sur un filet de gaz, plus inquiet de ne pas accrocher quelque chose qu’envoûté par le compte-tours. Retour sur l’asphalte. J’appuie plus généreusement et enquille à la volée la seconde. Avec 43 mkg de couple à bas régime, la 550 Maranello dispose d’un arsenal de contre-torpilleur. Elle déborde de puissance. A mesure que l’aiguille du compte tour grimpe vers les 5.000 tr/min (la zone rouge est à 7.500), la poussée se fait plus violente. A chaque changement de rapport, le coup de pied est violent et jouissif. Loin de hurler sa rage, le V 12 chante, d’une voix sombre mais puissante. J’abord une série de courbes en S. Le temps est au beau fixe et la chaussée parfaite. Honnêtement cela me rassure. La 550 Maranello avoue son âge sur ce point. Tout le poids est sur l’avant et il s’agit d’une stricte propulsion. Pas de transmission intégrale façon Porsche ou de transmission variable comme sait le faire Lamborghini.

Attention
sur route mouillée...
C’est l’avalanche de chevaux sur le train arrière et un maximum d’appui sur l’avant. Le châssis, une charpente de tubes d’acier sur laquelle les panneaux de carrosserie en aluminium ont été soudés par points, fait merveille. Il est aidé en cela par les pneumatiques. Maranello est chaussée de Pirelli P zéro en 255/40 ZR 18 à l’avant et 295/35 ZR 18 à l’arrière. De quoi tenir tête aux 485 chevaux délivrés par la bête. Philippe m’avertit cependant. « Il ne faut prendre absolument aucun risque sur chaussée dégradée ou route mouillée à moins d’avoir des compétences de pilote. La sanction est immédiate en cas d’erreur, c’est la perte de contrôle assurée, moi, je ne m’aventure pas dans ce genre de risque ». Nous attaquons une côte de campagne, sinueuse à souhait. Toujours sous le soleil. Même sans la pousser dans ses retranchements, la 550 permet de s’amuser en lançant des attaques plus franches. Rien à voir cependant avec son aînée F40 que j’ai essayée dernièrement. Le monstre échappé d’un circuit hurlait, bagarrait, griffait la route. La 550 chante, slalome, colle à l’asphalte. Comme quoi un cheval peut en cacher un autre. Nous arrivons dans un village. Sortie d’école oblige, je lève le pied, puis rétrograde. Le frein moteur agit immédiatement. Et lorsque je sollicite les freins pour en tester la réponse, ça stoppe très fort. Les quatre disques perforés et ventilés sont susceptibles et réagissent instantanément. Nous reprenons notre route, tranquillement. A 2.000 tr/min, en quatrième, la Maranello se balade sans tousser comme une vulgaire voiture d'occasion. C’est l’autre aspect du couple gigantesque. Et dans sa robe grise, elle pourrait presque passer inaperçue. Les badauds la dévisagent, mais ce n’est qu’au dernier moment que l’on entend par la fenêtre ouverte :
- Mince, t’as vu, c’est une Ferrari . Ultra sportive et discrète, la 550 Maranello n’aura-t-elle pas de défaut ? « Moi, j’en regrette un, c’est qu’à la place de la grande plage arrière et des sangles pour y arrimer un sac de golf, on aurait pu y caser deux petites places. Mais le vendeur n’a demandé où mettre alors le réservoir d’essence. Et du carburant, il en faut quand même un peu… Beaucoup même.

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